DEVOIR CONJUGAL, DISPARITION et REAFFIRMATION DE L'INDISPONIBILITE DU CORPS HUMAIN
Si l’on plaide encore bien souvent l’infidélité comme constitutive d’une faute pouvant fonder le divorce, le devoir conjugal n’est jamais évoqué en jurisprudence, hormis une jurisprudence isolée et ancienne.
Si la question de la difficulté de la preuve se pose, elle n’explique pas tout.
Voici pourtant que cette obligation un peu désuète a donné lieu à un arrêt remarqué de la Cour Européenne des Droits de l’Homme arrêt H.W. contre France, rendu le 23 janvier 2025 à l’unanimité.
Dans cette espèce, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France pour avoir prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’épouse qui avait reconnu dans ses plaintes pénales contre son mari que le couple n’avait plus de relations sexuelles depuis 2004.
L’épouse avait alors saisi la Cour Européenne en faisant valoir qu’en se prononçant sur la notion de devoir conjugal la juridiction française avait violé son droit à une vie privée et familiale – droit garanti par l’article 8 de la Convention.
Que dit la Cour ?
La Cour relève qu’en droit français le devoir conjugal ne figure pas à l’article …. Qui prévoit uniquement fidélité, secours et assistance ; néanmoins il serait un corollaire de l’obligation de la communauté de vie.
En réalité, par son arrêt H.W la CEDH a surtout voulu s’inscrire dans la lignée du rappel du droit des femmes à disposer de leur corps, de sorte qu’aucun grief ne peut leur être opposé du fait de leur refus de se soumettre à ce « devoir conjugal ».
Ce faisant, la Cour consolide la notion de viol conjugal, et empêche toute discussion sur l’articulation entre ce devoir conjugal et le viol conjugal.
A cet égard, apparaît particulièrement signifiant le rappel de l’engagement de la France, signataire de la Convention d’Istanbul, Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, du 11 mai 2011, ratifiée par la France le 4 juillet 2013 et entrée en vigueur le 1ᵉʳ novembre 2014.
Article 1 : La présente Convention s’applique à toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, qui affecte les femmes de manière disproportionnée.
Article 3 définit : « b) le terme "violence domestique" désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ».
Les Etats se sont engagés à prendre toutes les mesures de protection, d’information et de répression pénale pour permettre d’assurer la protection des femmes.
Article 36 - Violence sexuelle y compris le viol :
« 1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu’ils sont commis intentionnellement :
a) la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps
d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet ;
b) les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui ;
(...)
2. Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes.
3. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les
dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également à des actes commis contre les
anciens ou actuels conjoints ou partenaires, conformément à leur droit interne ».
La cour a examiné s’il y avait eu une atteinte légitime à la vie privée de Mme H.W. en faisant état de l’abstinence de rapports intimes des époux par rapport au but recherché - le prononcé du divorce.
Elle a estimé que le divorce des époux aurait pu être prononcé sans faire état de leurs relations intimes protégées par le respect de leur vie privée, rejetant l’argumentation de la France sur l’existence de l’incrimination pénale en cas de rapports non consentis exercés par le conjoint. La répression pénale étant distincte et sans objet avec la procédure de divorce.
La Cour Européenne a fait la part des intérêts en présence :
« La Cour considère que la réaffirmation du devoir conjugal et le fait
d’avoir prononcé le divorce pour faute au motif que la requérante avait cessé
toute relation intime avec son époux constituent des ingérences dans son droit
au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de
disposer de son corps » …
« Ces ingérences dans les droits de la requérante étant le fait d’autorités
publiques, la Cour estime qu’elles doivent être examinées sous l’angle des
obligations négatives ».
EN REALITE, la Cour a invité les époux à fonder leur argumentation sur un autre terrain, puisqu’en France le Législateur n’a cessé de faciliter la possibilité de divorcer de façon consentie et avoir une durée de cessation de la vie commune réduite (en quelques années, on est tout de même passés de 6 ans de rupture de la vie commune à 1 an seulement depuis la dernière réforme).
Ce sans compter la possibilité de divorcer par acte d’avocat déposé au rang des minutes d’un notaire, divorce accessible sous condition de Nationalité (il faut que le Pays de Nationalité reconnaisse cette procédure).
Le divorce pour faute ne présente d’intérêt, de nos jours, que pour contrer une demande de prestation compensatoire, ou à l’inverse augmenter ses demande ; mais la Cour rappelle que cette recherche de la faute ne peux se faire à tout prix et en violation des droits fondamentaux….
Cette jurisprudence vaut donc davantage pour l’état d’esprit et les objectifs recherché par la Cour que par le rejet de la notion de devoir conjugal qui ne fut en réalité qu’un prétexte à réaffirmer le droit à l’intégrité de la femme même lorsqu’elle est épouse.